Les Professeurs Jean-François Etter et Simon Chapman ont été invités à répondre à la question : « La cigarette électronique devrait-elle être aussi librement accessible que le tabac ? » dans la revue BMJ (publié le 14 juin 2013). Le premier, bien connu par la communauté des vapoteurs a répondu par l’affirmative alors que le second se montre opposé à l’essor de la Ecigarette. Ce débat d’opinion est révélateur de l’opposition entre les partisans de la diminution des risques pour la santé et ceux qui ne jurent que par le risque nul.
Simon Chapman : le chercheur qui a proposé le permis de fumer invente le permis de vapoter
Le Professeur Simon Chapman est certainement moins connu des vapoteurs que Jean-François Etter. Ce sociologue, Professeur en Santé Public à l’Université de Sidney est pourtant très prolifique avec l’écriture d’une quinzaine de livres et rapports et plusieurs centaines d’articles dans des revues internationales. Il a obtenus de très nombreuses distinctions dont la World Health Organisation’s World No Tobacco Day Medal. Ces recherches portent principalement sur la lutte anti-tabac.
Il est notamment connu pour ses propositions assez dures de lutte contre le tabac. Dans un essai paru le 13 novembre 2012 dans la revue PLoS Medicine, il  avait proposé l’idée radicale d’un permis de fumer qui avait fait grand bruit. Concrètement, les fumeurs auraient besoin d’un permis sous forme de carte magnétique pour pouvoir acheter du tabac et les commerçants n’auraient pas le droit d’en vendre sans présentation de cette carte. Une cotisation annuelle serait payée à l’Etat chaque année pour réactiver la carte avec un montant variant en fonction de la consommation de tabac. Les fumeurs pourraient se fixer des objectifs pour diminuer leur consommation quotidienne : dès qu’un certain nombre de cigarettes serait dépassé, tout achat de tabac serait bloqué.
Cette proposition avait été très vivement critiquée par d’autres chercheurs dont Jeff Colin de l’Université d’Edimberg qui avait qualifié ce permis d’autoritarisme qui stigmatiserait encore plus les fumeurs.
Dans ce nouveau plaidoyer, Simon Chapman marque son opposition à la cigarette électronique qu’il perçoit comme une façon de dédiaboliser l’usage de la cigarette classique.
Il commence par citer le responsable du cigarettier Reynolds America qui déclarait en novembre 2012, seulement six mois avant d’entrer sur le marché de la E-cigarette: «Nous avons un petit mantra à l’intérieur de l’entreprise. . . que nous appelons le 80-90-90…Nous assignons environ 80% de nos ressources aux produits de combustion [cigarettes, cigares, tabac à rouler…]. Les produits de combustion […] représentent 80% de notre résultat d’exploitation. . . [Et] retient 90% de l’attention de l’entreprise. . . Et en dépit du grand nombre de nouvelles innovations que vous voyez sortir, 90% de notre budget de R & D [recherche et développement] est orienté vers ces produits de combustion. . . C’est la catégorie de produit qui va encore offrir beaucoup de croissance dans l’avenir. »
Ainsi Simon Chapman est convaincu que les cigarettiers ne souhaitent pas s’insérer dans le marché de la cigarette électronique pour sauver des vies ou la substituer au tabac mais faire coexister les deux. Selon lui l’industrie du tabac aurait plusieurs objectifs : retarder le sevrage tabagique chez les fumeurs, leur offrir une resocialisation en leur permettant de « vapoter » là où il devait s’exiler pour fumer, toucher les jeunes, transmettre l’idée que la nicotine serait inoffensive…
Pour lui il n’y a pas de preuve montrant que la cigarette électronique aide à arrêter de fumer. Il est favorable à des mesures strictes sur la commercialisation du tabac qui auraient montrées leurs preuves notamment en Australie.
Il pense tout de même que les fumeurs qui souhaitent réduire les risques pour la santé doivent pouvoir accéder aux cigarettes électroniques. Cependant, il souhaiterait que cela soit fait par l’intermédiaire d’un permis d’utilisation de nicotine (dans la même veine que sa proposition sur le tabac) de la même façon que l’on accède à des médicaments via un permis temporaire (l’ordonnance) pour ceux qui en ont besoin.
Jean-François Etter, un scientifique convaincu des avantages de la cigarette électronique
Le Professeur Jean-François Etter est un scientifique titulaire à la fois d’un doctorat en sciences économiques et sociales et d’un master en santé publique. Il exerce à l’Institut de Médecine Sociale et Préventive au sein de la Faculté de médecine de l’Université de Genève en tant que maître d’enseignement et de recherche depuis 1998 et privat docent depuis 2000. Ses recherches portent plus particulièrement sur le tabagisme et les traitements de substitution nicotinique. Il est responsable de plusieurs sites internet de prévention dont Stop-tabac.ch et est éditeur associé des revues scientifiques internationales Nicotine & Tobacco Research et Addiction. Il a écrit de très nombreux articles dans des revues internationales à comité de relecture (plus d’une centaine) et notamment certains sur la cigarette électronique. Un des plus récents a porté sur l’analyse du taux de nicotine de plusieurs marques de liquide aux Etats-Unis.
Jean-François Etter a participé activement au rapport de l’Office Français de Prévention du Tabac (OFT) mais a refusé de signer les recommandations qu’il juge trop restrictives et dénuées de tout fondement scientifique, en particulier la préconisation d’interdire la cigarette électronique dans les lieux publics.
Dans cet article, il répond à Simon Chapman. Voici une traduction de ses propos :
Les fumeurs ont enfin une alternative plus sûre au tabac. La loi dans la plupart des pays permet la présence de nicotine seulement dans le tabac et dans les médicaments (par exemple, les patchs et les gommes thérapeutiques de remplacement de la nicotine); elle interdit efficacement les concurrents à l’industrie du tabac et à l’industrie pharmaceutique de rentrer sur le marché. Parce que les médicaments contenant de la nicotine sont peu attrayants et pas très efficaces, les personnes dépendantes à la nicotine ont tendance à consommer du tabac. Indubitablement, les lois réglementant la nicotine sont responsables de millions de morts en protégeant indûment les fournisseurs de nicotine existants au détriment de concurrents plus innovants, qui pourrait concevoir des produits plus sûrs.
Toutefois, les cigarettes électroniques sont sur le point de changer tout cela. Ces produits sont très efficaces: les ventes de e-cigarettes aux États-Unis ont doublé chaque année depuis qu’ils ont été introduits en 2007
Méfaits de la réglementation
Jusqu’à récemment, les e-cigarettes étaient capables de passer sous le radar législatif et la vente de nicotine contenue dans les e-cigarettes, même si elles n’étaient pas en totale conformité avec la législation, a été tolérée dans de nombreux pays. Mais cette tolérance est sur le point de s’arrêter. Malheureusement, les gouvernements, les législateurs et les organismes de régulation veulent sur-réglementer ces produits. Les régulateurs sont intrinsèquement réfractaires au risque, et un nouveau produit ayant un risque partiellement documenté se verra appliquer avec zèle un principe de précaution. Un exemple de cette approche est l’interdiction des e-cigarettes dans plusieurs pays, la proposition de directive de l’Union européenne pour limiter la concentration de nicotine dans les cigarettes électroniques à 2 mg / ml (ce qui est beaucoup trop faible); la réglementation des e-cigarettes comme des médicaments; et l’interdiction de l’utilisation dans les lieux publics.
Cette approche est excessivement prudente et nuisible à la santé publique. Cela n’a aucun sens de paralyser un produit plus sûr par une réglementation excessive : cela permet à un produit plus dangereux de conserver son monopole.
Le succès spectaculaire de la cigarette électronique doit et va déclencher un débat public sur la place de la nicotine dans la société et dans la loi. Le tribut énorme de la maladie et des décès causés par le tabac doit rester un élément central dans ce débat, et les risques des e-cigarettes doivent être comparés avec les risques du tabagisme. Parce qu’elles sont actuellement utilisées par les fumeurs actuels et anciens, que ce soit pour le plaisir ou pour réduire ou arrêter de fumer, et rarement, voire pas du tout, par des gens qui n’ont jamais utilisé de tabac, les e-cigarettes n’ont pas besoin d’être absolument sûres, elles ont besoin seulement d’être plus sûres que le tabac. Même si certains risques étaient identifiés dans le futur, les e-cigarettes resteront nettement plus sûres que les cigarettes classiques.
Pour s’assurer que le plus grand nombre possible de fumeurs passent au « vapotage » les e-cigarettes ne doivent pas être réglementées plus strictement que les cigarettes classiques. Elles ne devraient pas être réglementées comme des médicaments, parce qu’elles ne sont pas des médicaments tant que les vendeurs ne font aucune allégations sur la santé. La réglementation des e-cigarettes ne devrait couvrir que le contrôle de qualité (pour s’assurer qu’elles ne délivrent pas de substances inattendues), ainsi que la commercialisation et la vente aux mineurs, afin d’assurer que les e-cigarettes ne sont pas proposées ou vendues à ceux qui n’utilisent pas déjà du tabac. Toute réglementation plus stricte agira comme un obstacle à l’utilisation de la e-cigarette et débouchera à ce que le nombre de décès causés par le tabac fumé continue.
Il n’y a aucune preuve que les e-cigarettes font la promotion du tabagisme
Les prohibitionnistes affirment que les cigarettes électroniques sont une porte d’entrée au tabagisme chez les jeunes non-fumeurs. Actuellement, aucune preuve n’appuie cette hypothèse. Au contraire, si les e-cigarettes aident les fumeurs adultes à ne pas fumer, elles aideront probablement également les adolescents. Cependant, les entreprises du tabac, qui sont adeptes du ciblage des jeunes consommateurs, entrent sur le marché de l’e-cigarette, et il est à craindre que si les fumeurs passent massivement aux e-cigarettes leur vivier de consommateurs de nicotine devra éventuellement être complété avec de nouveaux jeunes consommateurs . C’est pourquoi, la commercialisation et la vente de e-cigarettes aux jeunes non-fumeurs devraient être contrôlées, mais les fumeurs adolescents devrait être autorisés à passer à l’e-cigarette. Dans une société où la nicotine est largement disponible, certains jeunes vont inévitablement essayer la nicotine, et il est préférable pour eux d’utiliser l’e-cigarettes plutôt que des cigarettes classiques. L’interdiction de vente de e-cigarettes aux mineurs serait non seulement difficile à appliquer, mais inciterait les nouveaux consommateurs de nicotine à se tourner vers le tabac.
Paradoxalement, les opposants les plus virulents aux e-cigarettes se trouvent parmi les activistes de la lutte anti-tabac. Ils n’aiment pas un produit qui ressemble à cigarettes classique ou désapprouvent un outil de désaccoutumance au tabac qui, utilisé sans leur participation ou leur approbation, menace leur statut. En outre, de nombreux experts se réfèrent à la méfiance au sein de la communauté de la santé publique après qu’elle ait été dupée par les cigarettes « light », quand l’industrie du tabac avait trompeusement manipulé les cigarettes pour diminuer les quantités de composés toxiques mesurés par des machines à fumer. Il a fallu de nombreuses années pour montrer que les cigarettes « light » étaient en fait aussi dangereuses que les autres.
Toutefois, les e-cigarettes ne sont pas un stratagème de marketing, et leur succès s’explique principalement par leurs qualités intrinsèques. Si les e-cigarettes sont autorisées à atteindre leur plein potentiel et à devenir aussi satisfaisante que le tabagisme, il y aura peu d’incitation pour les fumeurs de continuer à fumer. Même si certains anciens fumeurs restent dépendants à la nicotine délivrée par les e-cigarettes, ce n’est pas un problème de santé publique car rien n’a permis de prouvé que les cigarettes électroniques seraient toxiques [voir par exemple cette étude sur la cigarette électronique sur ce point]. Des milliers d’anciens fumeurs sont accros aux gommes nicotinées et ce n’est pas un problème de santé publique non plus. Si les gouvernements, les parlements, les organismes de réglementation, et les experts sont en mesure de maîtriser leur désir de restreindre l’accès aux e-cigarettes, ces produits sont susceptibles de représenter une révolution dans la santé publique.
Un parallèle est souvent fait entre la cigarette électronique et le préservatif. Alors que le sida fait des ravages, notamment en Afrique (près de 40% de contaminés au Swaziland et au Botswana), certains sont intransigeants et préconisent la fidélité, d’autres sont plus réalistes et promeuvent l’usage du préservatif pour enrayer l’expansion de la maladie.Â